C’est dans la nature même de la belgitude : rassembler, extrapoler, rêver et pour que ça dure, décaler. Dans tous les domaines de la culture, une sérieuse forme de second degré donne aux créateurs de la hauteur. 

Cette subversion n&eacute;cessaire aux grandes &eacute;volutions se transmet intuitivement entre g&eacute;n&eacute;rations depuis l&rsquo;invention il y a un si&egrave;cle du <a href="https://www.lofficiel.be/mode/magritte-comment-l-univers-surrealiste-du-peintre-belge-continue-d-inspirer-la-mode" target="_blank">surr&eacute;alisme</a>. Gr&acirc;ce au Plan Textile, initiative politique financ&eacute;e par l&rsquo;&Eacute;tat, c&rsquo;est la mode qui a explos&eacute; d&egrave;s les ann&eacute;es 80, toujours &agrave; la pointe de l&rsquo;avant-gardisme, bougeant les lignes d&rsquo;une identit&eacute; forte par les v&ecirc;tements en mouvement.

Niveau expression et positionnement du corps, les Belges changent aussi la donne sur la sc&egrave;ne internationale en termes de danse et de sc&eacute;nographie avec &ndash; &eacute;num&eacute;ration non exhaustive &ndash; Anne Teresa De Keersmaeker ou Jan Fabre, et affolent les tapis rouges du cin&eacute;ma en y ajoutant leurs subliminales bandes jaune et noire. <a href="https://www.lofficiel.be/art-culture/les-10-meilleurs-batiments-d-architecture-d-horta" target="_blank">Victor Horta</a> en architecture, <a href="https://www.lofficiel.be/art-culture/wim-delvoye-les-oeuvres-qui-ont-le-plus-marques-le-public" target="_blank">Wim Delvoye</a> en art contemporain, c&ocirc;t&eacute; septi&egrave;me art <a href="https://www.lofficiel.be/art-culture/agnes-varda-zoom-sur-6-films-et-docu-a-absolument-voir" target="_blank">Agn&egrave;s Varda</a>, les fr&egrave;res Dardenne, Bouli Lanners, Jaco Van Dormael et sa po&eacute;sie qui balance, le questionnement identitaire subtil et engag&eacute; de Lukas Dhont, l&rsquo;hyperr&eacute;alisme non d&eacute;nu&eacute; de tendresse et toujours implacable des docus Strip-Tease, l&rsquo;autod&eacute;rision des Snuls&hellip; Les Belges tracent droit devant mais pour cela, font toujours un pas sur le c&ocirc;t&eacute;. Et dans une culture qu&rsquo;Internet mondialise, leur regard d&eacute;cal&eacute; est de plus en plus pris&eacute;.&nbsp;

WB_Courtesy of Walter Van Beirendonck.jpg

En mode belge

N&eacute;s ici ou venus de loin pour <a href="https://www.lofficiel.be/mode/13-createurs-celebres-qui-ont-etudie-la-mode-en-belgique" target="_blank">se former dans les &eacute;coles de stylisme</a> qui fournissent en talents d&eacute;complex&eacute;s les studios de cr&eacute;ation du monde entier &ndash; en t&ecirc;te de prestige La Cambre de Bruxelles et l&rsquo;Acad&eacute;mie d&rsquo;Anvers &ndash;, les cr&eacute;ateurs &quot;belges&quot;&nbsp;sont parfois fran&ccedil;ais ou de toutes autres nationalit&eacute;s, mais revendiquent les racines de leur &eacute;ducation artistique. Dans la trajectoire d&rsquo;Ann Demeulemeester (le premier nom de mode belge cit&eacute; par les Am&eacute;ricains crois&eacute;s &agrave; la Fashion Week de Paris), de Walter Van Beirendonck, Dries Van Noten, Dirk Van Saene, Marina Yee et Dirk Bikkembergs (surnomm&eacute;s les &quot;Six d&rsquo;Anvers&quot;&nbsp;par la presse britannique) en compagnie de <a href="https://www.lofficiel.be/mode/martin-margiela-10-choses-a-savoir-sur-le-plus-secret-des-createurs-de-mode-belges" target="_blank">Martin Margiela</a>, cette g&eacute;n&eacute;ration prescriptrice a influenc&eacute; tout un nouveau langage de mode aff&ucirc;t&eacute;e, int&egrave;gre, &eacute;loquente, construite sur une r&eacute;flexion id&eacute;aliste et incarn&eacute;e. Et surtout, export&eacute;e avec succ&egrave;s. Leurs h&eacute;ritiers extrapol&eacute;s d&eacute;fient saison apr&egrave;s saison une certaine pr&eacute;visibilit&eacute; des tendances.

LES PREMIERS LES DERNIERS_Bouli Lanners_Albert Dupontel_© Kris Dewitte.jpg

Une influence cr&eacute;ative et &eacute;conomique internationale

<a href="https://www.lofficiel.be/mode/anthony-vaccarello-entre-courbe-ascendante-et-magie-des-lignes" target="_blank">Anthony Vaccarello</a> multiplie le chiffre d&rsquo;affaires chez Saint Laurent (+ 20% au d&eacute;but 2021, qui n&rsquo;&eacute;tait pas la plus facile), <a href="https://www.lofficiel.be/mode/matthieu-blazy-qui-est-le-nouveau-directeur-artistique-belge-de-bottega-veneta" target="_blank">Matthieu Blazy</a> rend les collections de pr&ecirc;t-&agrave;-porter encore plus d&eacute;sirables chez Bottaga Venetta apr&egrave;s avoir dirig&eacute; la ligne artisanale (haute couture) chez Maison Margiela o&ugrave; il continuait de repousser les limites de l&rsquo;exploration, puis apport&eacute; de nouveaux codes alternatifs au langage mode de Calvin Klein aupr&egrave;s de <a href="https://www.lofficiel.be/mode/raf-simons-une-carriere-longue-et-reussie" target="_blank">Raf Simons</a>. Leur modernit&eacute;, qui devait cr&eacute;er l&rsquo;effet hyperrecherch&eacute; &quot;c&eacute;r&eacute;bral r&eacute;f&eacute;renc&eacute; rentable&quot;&nbsp;&agrave; la Gucci n&rsquo;a pas suffisamment rencontr&eacute; l&rsquo;adh&eacute;sion du public. Alors Raf Simons, poursuivant son travail sur sa propre collection, a adjoint son talent &quot;en conversation&quot;&nbsp;&agrave; l&rsquo;&oelig;uvre de Miuccia Prada, pour une identit&eacute; rebelle et surprenante, mix&eacute;e aux volumes d&eacute;tourn&eacute;s et aux assemblages de mati&egrave;res d&eacute;tonants du cr&eacute;ateur belge. Chaque g&eacute;n&eacute;ration de designers a apport&eacute; une excitation nouvelle, parfois une r&eacute;volution des sens de la mode &ndash; on se souvient du choc VETEMENTS men&eacute; par Demna Gvasalia, form&eacute; &agrave; l&rsquo;Acad&eacute;mie d&rsquo;Anvers, aujourd&rsquo;hui directeur artistique de Balenciaga (avec un chiffre d&rsquo;affaires en croissance exponentielle, aux &Eacute;tats-Unis notamment). Dans la maison parisienne, le cr&eacute;ateur a boulevers&eacute; les crit&egrave;res du luxe, inject&eacute; des lignes extr&ecirc;mes, des messages luxueusement radicaux, et r&eacute;invent&eacute; une certaine haute couture pr&eacute;sent&eacute;e en juillet dernier. Une &eacute;l&eacute;gance &eacute;pur&eacute;e aux coupes excessives, d&eacute;clin&eacute;e en couleurs brutes. Une sensibilit&eacute; sans concession, pour une nouvelle &egrave;re d&rsquo;expression. Marine Serre a de son c&ocirc;t&eacute; cumul&eacute; les prestigieux prix LVMH et de l&rsquo;ANDAM, et sa marque &eacute;ponyme cr&eacute;e l&rsquo;&eacute;v&eacute;nement &agrave; chaque nouveau lancement. La jeune cr&eacute;atrice fran&ccedil;aise dipl&ocirc;m&eacute;e de La Cambre a fait du catsuit l&rsquo;instrument ultime d&rsquo;une incarnation du style au plus pr&egrave;s de l&rsquo;&ecirc;tre, tandis que, &agrave; la fois &agrave; la t&ecirc;te de Y/Project et de la direction artistique de Diesel, <a href="https://www.lofficiel.be/mode/glenn-martens-comment-le-brugeois-est-devenu-l-un-des-createurs-les-plus-incontournables-du-moment" target="_blank">Glenn Martens</a> insuffle &agrave; grand succ&egrave;s du second degr&eacute; dans les classiques d&rsquo;un vestiaire pratique.

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Plus de r&eacute;f&eacute;rences, moins d&rsquo;all&eacute;geance

Les raisons de cette passion&nbsp;? Denis Laurent, directeur de la culture, des mus&eacute;es et des archives de la Ville de Bruxelles, cite un poids acad&eacute;mique moins limitant dans l&rsquo;exploration de la cr&eacute;ativit&eacute;. Il rappelle que Bruxelles est une capitale, certes, mais de province. &quot;On y est moins jug&eacute;, et l&rsquo;environnement est tr&egrave;s multiculturel. On a l&rsquo;habitude d&rsquo;aborder le monde &agrave; partir de plusieurs points de vue. Le surr&eacute;alisme est en partie n&eacute; ici dans les ann&eacute;es 20, ce qui a sans doute laiss&eacute; des traces jusque dans l&rsquo;expression contemporaine. Mais la mode belge n&rsquo;a pas eu &agrave; se r&eacute;f&eacute;rer &agrave; une tradition de haute couture comme en France, o&ugrave; les cr&eacute;ateurs de toutes g&eacute;n&eacute;rations se comparent plus ou moins consciemment &agrave; des &eacute;coles stylistiques et &agrave; des ma&icirc;tres qui p&egrave;sent sur les g&eacute;n&eacute;rations suivantes. Moins d&rsquo;h&eacute;ritage historique permet plus de marge de man&oelig;uvre. L&rsquo;influence de la mode fran&ccedil;aise est importante chez nos cr&eacute;ateurs, mais tout autant que celle de Londres, des Italiens ou des Japonais. Dans la capacit&eacute; &agrave; oser, il y a sans doute &eacute;galement le fait que Bruxelles et Anvers, les deux centres principaux de la mode, sont des petites villes, contrairement &agrave; Paris, Londres ou New York. Depuis toujours, cela facilite les contacts et les collaborations entre disciplines : il existe une &eacute;mulation r&eacute;ciproque entre les cr&eacute;ateurs et les plasticiens, le th&eacute;&acirc;tre, la musique. La tradition de mode ne se suffit pas &agrave; elle-m&ecirc;me, elle est toujours m&eacute;lang&eacute;e avec d&rsquo;autres formes d&rsquo;art. Cette porosit&eacute; entre les disciplines culturelles est possible parce que tout le monde sort aux m&ecirc;mes endroits, partage des exp&eacute;riences. Et puis il y a le fameux sens de la d&eacute;rision &agrave; la belge, une habitude d&rsquo;&ecirc;tre ballott&eacute; en politique, de revendiquer un c&ocirc;t&eacute; frondeur. Il faudrait peut-&ecirc;tre un jour arr&ecirc;ter de r&eacute;&eacute;crire l&rsquo;histoire de la culture belge &agrave; l&rsquo;aune du surr&eacute;alisme. Il existe toute une culture de l&rsquo;insolite, avec Elvis Pompilio, Christophe Coppens, Jean-Paul Lespagnard, Laetitia Crahay... Une forme d&rsquo;onirisme ubuesque, commune &agrave; presque tous les arts&nbsp;:&nbsp; Jacques Charlier ou Messieurs Delmotte sont par exemple des artistes li&eacute;geois qui cultivent l&rsquo;absurde.&quot;&nbsp;Jos&eacute;-Alain Fralon, ancien correspondant du Monde en Belgique, auteur sp&eacute;cialis&eacute; dans les questions g&eacute;opolitiques et culturelles qui lient les deux pays, souligne de son c&ocirc;t&eacute; que &quot;ce besoin cr&eacute;atif d&rsquo;&ecirc;tre subversif est g&eacute;n&eacute;ralement bien accept&eacute;, parce qu&rsquo;il passe dans le d&eacute;calage d&rsquo;une nation qui n&rsquo;en est pas vraiment une, fond&eacute;e sur une unit&eacute; dont l&rsquo;&eacute;quilibre est souvent fragilis&eacute;.&quot;&nbsp;Et finalement, jamais vraiment perturb&eacute;&hellip;

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Un d&eacute;calage assum&eacute; comme signature historique

&quot;&Agrave; la sortie du film de Bouli Lanners &#39;Les Premiers, les Derniers&#39;, des Fran&ccedil;ais s&rsquo;exclamaient &agrave; Paris : vive les Belges ! Je leur ai demand&eacute; : Pourquoi ? Parce qu&rsquo;ils osent !&quot;&nbsp;Cette anecdote v&eacute;cue par Jos&eacute;-Alain Fralon r&eacute;sume l&rsquo;admiration de nos voisins pour le culot artistique belge. &quot;Ils cultivent le bon go&ucirc;t de l&rsquo;exc&egrave;s. Ils vont partout, quitte parfois &agrave; aller un peu trop loin, et c&rsquo;est tant mieux. Ils sont moins complex&eacute;s, peut-&ecirc;tre &agrave; cause des diff&eacute;rences d&rsquo;enseignement, notamment l&rsquo;ombre des grandes &eacute;coles, plus collet mont&eacute;, qui plane encore en France sur ce qui est acceptable, ou non. La Belgique est un pays plus jeune, moins engonc&eacute; dans l&rsquo;&eacute;tiquette, o&ugrave; l&rsquo;on apprend &agrave; se moquer de tout, et d&rsquo;abord de soi. C&rsquo;est le meilleur moyen de faire accepter une pirouette envers les autres.&quot;&nbsp;C&ocirc;t&eacute; cin&eacute;ma, Beno&icirc;t Poelvoorde et Fran&ccedil;ois Damiens ont r&eacute;ussi &agrave; percer en France sans rien perdre de leur identit&eacute;. Pourtant, ils sont encore nombreux &agrave; &ecirc;tre assimil&eacute;s &quot;sc&egrave;ne fran&ccedil;aise&quot;&nbsp;alors qu&rsquo;ils sont des purs produits du d&eacute;calage &quot;&agrave; la belge&quot;. Pour le grand reporter, &quot;de tous horizons, les Belges apportent &eacute;norm&eacute;ment &agrave; la culture fran&ccedil;aise. Stromae a explos&eacute; les plafonds de vente d&rsquo;albums gr&acirc;ce &agrave; sa chanson francophone, et il y a une expression qui veut que la moiti&eacute; des &eacute;crivains fran&ccedil;ais sont belges. Il faut sans doute y voir une influence de l&rsquo;enseignement en Belgique, moins acad&eacute;mique dans le sens d&rsquo;une plus grande libert&eacute;, plus ouvert, plus orient&eacute; vers l&rsquo;expression individuelle. Arno a dit : Bruxelles est un beau bordel, comme Brel.&nbsp;La gr&acirc;ce de la Belgique, mode et arts confondus, c&rsquo;est que d&rsquo;un d&eacute;sordre relatif peut &eacute;merger une inestimable libert&eacute;.&quot;&nbsp;De r&eacute;volutions douces en exploration de nouvelles formes d&rsquo;expression, les cr&eacute;ateurs belges se transmettent &agrave; chaque g&eacute;n&eacute;ration le talent d&rsquo;&ecirc;tre universels.

Mode : en quoi la création belge est-elle si subversive ?

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