Si l&rsquo;industrie de la mode est globalement aussi segment&eacute;e qu&rsquo;un dressing bien rang&eacute;, certains cr&eacute;ateurs, et parmi eux des Belges embl&eacute;matiques, sont pass&eacute;s de la couture &agrave; la peinture, &agrave; la sculpture. Une transition pleine de sens, quand la cr&eacute;ation change de vitrine.&nbsp;

C&rsquo;est l&rsquo;une de leurs caract&eacute;ristiques artistiques : les Belges transcendent les disciplines. Ils s&rsquo;enrichissent mutuellement d&rsquo;expertises, moins enclins que d&rsquo;autres &eacute;coles cr&eacute;atives &agrave; cloisonner. Depuis qu&rsquo;il a quitt&eacute; sa Maison en 2008, Martin Margiela expose des &oelig;uvres surr&eacute;alistes con&ccedil;ues d&rsquo;extrapolations du corps, souvent &eacute;vocations d&rsquo;ongles et de cheveux, installations dans la veine de son h&eacute;ritage mode. Christophe Coppens, de son c&ocirc;t&eacute;, cr&eacute;e toujours des v&ecirc;tements - il est directeur artistique invit&eacute; pour les 40 ans de la maison Natan - tandis que, artiste et sc&eacute;nographe, il organise r&eacute;guli&egrave;rement des expositions d&rsquo;objets couture, hybrides naturalistes d&rsquo;accessoires et de maquettes fantastiques. En juin 2024, il pr&eacute;sentera, &agrave; La Monnaie, Turandot de Puccini, dont il signera les costumes, la mise en sc&egrave;ne et les d&eacute;cors. Pendant ce temps, explorateur de cultures et grand voyageur, Jean-Paul Lespagnard est en train d&rsquo;ouvrir sa carri&egrave;re vers l&rsquo;objet et l&rsquo;artisanat. Enfin en mai dernier, Dirk Van Saene, qui se forme &agrave; la c&eacute;ramique depuis une douzaine d&rsquo;ann&eacute;es - dans la m&ecirc;me Acad&eacute;mie d&rsquo;Anvers qui l&rsquo;a dipl&ocirc;m&eacute; au d&eacute;but des ann&eacute;es 80 - et qui a sign&eacute; en 2020 sa derni&egrave;re collection de mode f&eacute;minine, a organis&eacute; &agrave; Anvers sa deuxi&egrave;me exposition d&rsquo;art contemporain.&nbsp;&nbsp;

Un ange a embrass&eacute; le printemps
"Ces derni&egrave;res ann&eacute;es, je commen&ccedil;ais &agrave; ne plus me reconna&icirc;tre dans ce que le syst&egrave;me de la mode est en train de devenir, un espace o&ugrave; la libert&eacute; d'expression s'amenuise, coinc&eacute;e dans l'omnipr&eacute;sence et l'omnipotence de grands groupes."&nbsp;Dirk Van Saene a fond&eacute; sa marque en 1985 et montr&eacute; son premier d&eacute;fil&eacute; &agrave; Paris quelques ann&eacute;es plus tard, dans un caf&eacute; des Halles. Il dessine des trompe-l&rsquo;&oelig;il depuis toujours et en 2008 - ann&eacute;e o&ugrave; il a commenc&eacute; &agrave; enseigner la mode &agrave; l&rsquo;Acad&eacute;mie d&rsquo;Anvers -&nbsp; il a entrepris de peindre sur soie des collections qui &eacute;taient autant d&rsquo;&oelig;uvres d'art &agrave; porter sur soi. L'exp&eacute;rimentation de la cr&eacute;ation n'a pas de date de p&eacute;remption et avec son exposition An Angel, Kissing Spring, mont&eacute;e &agrave; la galerie Sophie Van de Velde &agrave; Anvers jusqu&rsquo;au d&eacute;but de l&rsquo;&eacute;t&eacute;, il a trait&eacute; le sujet paradoxalement insaisissable du temps qui passe, puisque l'on peut prendre les pi&egrave;ces en main. Le cr&eacute;ateur a donn&eacute; des visages connus &agrave; des personnages et r&eacute;alis&eacute; des grandes toiles de 3,5 m. Des toiles de peintre et non de cr&eacute;ateur de mode. Le mot est le m&ecirc;me, l'art est diff&eacute;rent. Dirk a con&ccedil;u ses c&eacute;ramiques en argile naturelle dans des tons chauds et blancs. Il a install&eacute; son atelier &agrave; la maison tandis que Walter Van Beirendonck, son compagnon de toujours, dessine ses collections &agrave; l'&eacute;tage. Il s'est &eacute;quip&eacute; d'un four, mais n'a pas voulu d'un tour.&nbsp; "Je pr&eacute;f&egrave;re construire progressivement en hauteur, centim&egrave;tre apr&egrave;s centim&egrave;tre, en ajoutant des petits boudins d'argile que je sculpte de mes mains. Le tour offre un r&eacute;sultat trop r&eacute;gulier. J'aime bien voir la trace de mes doigts dans mes &oelig;uvres, c'est plus po&eacute;tique. La perfection m'attire peu. Ici, on peut percevoir tout le processus." Cette exposition anversoise invoquait de nombreux souvenirs de sa jeunesse, on y d&eacute;couvrait d'ailleurs des photos d'archives de son enfance. L&rsquo;artiste y visitait l'obsession universelle pour la jeunesse. "J'ai cr&eacute;&eacute; une sculpture de Dorian Gray que j'ai plac&eacute;e face &agrave; un miroir. J'ai aussi r&eacute;alis&eacute; une sculpture de Narcisse qui tombe amoureux de lui-m&ecirc;me. Narcisse, c'est le p&egrave;re spirituel des selfies."&nbsp;An Angel, Kissing Spring portait &eacute;videmment une dimension critique et, de fa&ccedil;on tout aussi transparente, un brin psychanalytique. L&rsquo;art comme la mode, taille ses plus beaux arguments dans la sociologie.

Les arts codifi&eacute;s
Alexandre Samson, responsable Couture et mode contemporaine au Palais Galliera, souligne une tendance de certains sp&eacute;cialistes d'art contemporain "&agrave; cat&eacute;goriser les &oelig;uvres d'art sign&eacute;es de cr&eacute;ateurs de mode dans un cr&eacute;neau &ldquo;d&eacute;coratif&rdquo; et &ldquo;esth&eacute;tisant&rdquo;, ce qui est souvent injuste. Helmut Lang par exemple s'est servi de son art, brutal, "mazout&eacute;", comme d&rsquo;un acte de destruction de son pass&eacute; de mode. Toutes les pi&egrave;ces qu&rsquo;il n'a pas donn&eacute;es &agrave; de grands mus&eacute;es, il les a broy&eacute;es et agglom&eacute;r&eacute;es pour en faire des sculptures. Il a m&ecirc;me d&eacute;coup&eacute; &agrave; la tron&ccedil;onneuse les grands aigles en bois noir qui d&eacute;coraient l'entr&eacute;e de ses boutiques. Il s'est inscrit dans une d&eacute;marche de table rase, oppos&eacute;e &agrave; la tentation de la s&eacute;duction, dans un manifeste qui se d&eacute;tournait de l'esth&eacute;tique. Il en a tir&eacute; une extraction, une abstraction. Chez Martin Margiela au contraire, l'art se d&eacute;veloppe plut&ocirc;t dans la continuit&eacute; de sa mode, d'une mani&egrave;re&nbsp;peut-&ecirc;tre&nbsp;plus polic&eacute;e par rapport &agrave;&nbsp;certaines de ses&nbsp;collections qui &eacute;taient plut&ocirc;t&nbsp;abruptes."&nbsp;Comme la mode, l&rsquo;art n&rsquo;est pas qu&rsquo;une philosophie, c&rsquo;est aussi une source de profit, avec ses exigences et ses agendas. Alexandre Samson &eacute;voque l&rsquo;acc&eacute;l&eacute;ration du rythme de la production d'art "avec ce qui commence &agrave; ressembler &agrave; une saisonnalit&eacute; se rapprochant de la mode, avec ses commandes, ses pr&eacute;-commandes et ses crit&egrave;res de couleurs &agrave; mettre en vitrine. De plus en plus, l'art tient plus de la mode que l'inverse. On glisse vers une acc&eacute;l&eacute;ration de production, avec des biennales et des imp&eacute;ratifs de vente. En r&eacute;alit&eacute;, ce n'est pas nouveau, c&rsquo;est aussi ancien que l&rsquo;art lui-m&ecirc;me. Mais personne n&rsquo;a envie d'entendre qu&rsquo;Auguste Rodin &eacute;tait aussi un excellent commer&ccedil;ant. Cependant si le v&ecirc;tement est &ldquo;un moyen&rdquo; (on l'ach&egrave;te pour un usage) l'art est "une fin". Ann Demeulemeester a chang&eacute; de discipline cr&eacute;ative, Paul Poiret peignait &agrave; la fin de sa vie dans le sud de la France, &agrave; la C&eacute;zanne. Mais m&ecirc;me si l&rsquo;art poss&egrave;de ses dimensions mercantiles, il s&rsquo;enferme encore souvent dans des "entre-soi"."

Une vocation fa&ccedil;onn&eacute;e dans la mati&egrave;re
Le parrain de Dirk Van Saene, l&rsquo;artiste Maurits Van Saene, &eacute;tait peintre. Pour ses 6 ans, il lui a offert son premier chevalet. "Lorsque je suis all&eacute; m&rsquo;inscrire &agrave; l'Acad&eacute;mie d'Anvers en 1977, j'ai h&eacute;sit&eacute; jusqu'au dernier moment entre mode et peinture. Mon choix s'est jou&eacute; &agrave; cinq minutes et il a chang&eacute; tout le reste de ma vie." Dirk explique sa transition du dessin &agrave; la mati&egrave;re, l'art &agrave; sa mani&egrave;re, qui s'est faite en douceur. "J'ai toujours aim&eacute; travailler avec mes mains, et dans la mode, la cr&eacute;ation ne repr&eacute;sente qu'une petite partie de l'ensemble de la production. 80 % de l'&eacute;laboration d'une collection, c'est de la logistique et des probl&egrave;mes &agrave; g&eacute;rer. L'art, c'est 100 % de cr&eacute;ation." Depuis longtemps, Dirk Van Saene et Walter Van Beirendonck collectionnent de la c&eacute;ramique hongroise de Budapest, des ann&eacute;es 30-40. "J&rsquo;ai eu envie de fabriquer les miennes. Je trouvais peu de propositions int&eacute;ressantes dans les cr&eacute;ations contemporaines en mati&egrave;re de c&eacute;ramique. &Agrave; l'&eacute;cole, par exemple, la plupart des &eacute;l&egrave;ves pr&eacute;f&eacute;raient se lancer dans l'abstraction, alors que je voulais faire du figuratif." Si Dirk Van Saene a cr&eacute;&eacute; de la vaisselle &agrave; l'occasion d'une r&eacute;sidence d'artistes &agrave; San Francisco, ses sculptures fa&ccedil;onnent d&eacute;sormais des histoires. Le textile est toujours pr&eacute;sent. "J'utilise de la maille et du tissu pour habiller mes statues. Pour l&rsquo;exposition &agrave; Anvers, je leur ai fabriqu&eacute; des T-shirts, des pulls, des robes ann&eacute;es 50, basiques. Ces sculptures repr&eacute;sentaient ma famille, mon p&egrave;re et ma m&egrave;re, que j'ai habill&eacute;s comme dans mes souvenirs d'enfants. J'ai aussi fabriqu&eacute; une repr&eacute;sentation de moi-m&ecirc;me quand j'&eacute;tais petit, v&ecirc;tu d'un T-shirt, portant une poup&eacute;e." Le cr&eacute;ateur-sculpteur nuance les processus de cr&eacute;ation de ses deux passions. "Une exposition peut se pr&eacute;parer pendant deux ans, ce qui repr&eacute;sente un luxe incroyable. Sophie Van de Velde m'a soutenu tout au long de l'&eacute;laboration, c&rsquo;&eacute;tait tr&egrave;s confortable, dans un travail qui est plus solitaire que l&rsquo;&eacute;laboration d'une collection. Ici, on ne d&eacute;pend de personne d'autre pour la production, la vente, la distribution&hellip;" Autre diff&eacute;rence fondamentale : "la sculpture, &ccedil;a relaxe !" Peut-&ecirc;tre un argument ultime, celui du temps qu&rsquo;on prend et qui, apr&egrave;s le tourbillon des saisons qui s&rsquo;encha&icirc;nent, apaise.

La mode, enfance de l’art ?

Recommandé pour vous

Art & Culture

Quatre films de Luca Guadagnino à voir absolument après "Challengers"

People

Le couple Sophia Bush et Ashlyn Harris en 8 dates clés

Mode

Chanel Croisière 2025 : cap sur Marseille avec une collection sur le thème de la mer

Food

Recette : le cocktail à l’allure minimaliste, à siroter au printemps

Voyages

Bruxelles accueille le Corinthia, son tout premier palace

Beauté

Orebella : ce qu'il faut savoir sur la nouvelle marque beauté de Bella Hadid

Mode

L'OFFICIEL Belgique vous dévoile les coulisses du MET Gala

Beauté

14 crèmes solaires quotidiennes qui ne feront pas couler le maquillage