Le Musée Mode & Dentelle de Bruxelles rhabille l’homme pour l’hiver avec son expo “Masculinities”. Question d’époque et question de genre, le vêtement, expression sociologique des évolutions historiques, aborde le mâle sous tous les angles, pour notre plus grand bien.

Une exposition sur un art vivant et en perp&eacute;tuelle &eacute;volution n&eacute;cessitait un guide de l&rsquo;int&eacute;rieur. Un homme, un cr&eacute;ateur. De ceux qui insufflent de la vie &agrave; la mode, et r&eacute;ciproquement. C&eacute;dric Charlier, designer belge ador&eacute; des amatrices de pi&egrave;ces &eacute;loquentes et portables, qui s&eacute;duit par sa patte &eacute;pur&eacute;e appos&eacute;e &agrave; un vestiaire essentiel, issu de l&rsquo;&Eacute;cole du Nord, avec au c&oelig;ur une mode pleine de chaleur. Il dessine des v&ecirc;tements &agrave; la couleur du bon sens, et applique &agrave; ses collections l&rsquo;&eacute;l&eacute;gance d&rsquo;une certaine intemporalit&eacute;. Face aux vitrines du mus&eacute;e, plac&eacute;es &agrave; dessein dans des salles &agrave; la p&eacute;nombre sc&eacute;nographi&eacute;e, il nous a racont&eacute; l&rsquo;&eacute;volution de la mode appliqu&eacute;e aux hommes, observant inconsciemment son propre reflet dans la discr&eacute;tion d&rsquo;un &eacute;clairage subjectif, et s&eacute;lectif. C&eacute;dric Charlier, qui a lui-m&ecirc;me consacr&eacute; deux collections enti&egrave;res aux gar&ccedil;ons et insuffle une inspiration masculine dans ses pi&egrave;ces f&eacute;minines, revient sur les angles narratifs et les courbes ambig&uuml;es de la mode Homme.

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L&rsquo;Homme par&eacute; (&agrave; tout)

On commence au XVIIIe si&egrave;cle, quand l&rsquo;homme appr&ecirc;t&eacute; &eacute;tait encore valoris&eacute;&nbsp;: l&rsquo;exposition explore l&rsquo;univers des habits &quot;&agrave; la fran&ccedil;aise&quot;, pour traverser le temps jusqu&rsquo;&agrave; notre &eacute;poque, de la queue-de-pie &agrave; la queue leu leu de costumes d&rsquo;une grande richesse, &quot;de tissus ouvrag&eacute;s qui pouvaient &ecirc;tre repris dans les contrats de mariage et les h&eacute;ritages&quot;, rappelle C&eacute;dric Charlier. &quot;Il est int&eacute;ressant de voir le renversement de l&rsquo;avant/apr&egrave;s R&eacute;volution fran&ccedil;aise. L&rsquo;habit et la cour &agrave; la fois ont &eacute;t&eacute; renvers&eacute;s. La R&eacute;volution a amen&eacute; le pantalon, supprim&eacute; la culotte. &Agrave; cette &eacute;poque, les attributs assimil&eacute;s &agrave; la f&eacute;minit&eacute;, couleurs et fleurs, ont commenc&eacute; &agrave; susciter la controverse. Les &eacute;l&eacute;gants de l&rsquo;Ancien R&eacute;gime &eacute;taient d&rsquo;une certaine mani&egrave;re les m&eacute;trosexuels de l&rsquo;&eacute;poque.&quot;&nbsp;Ainsi, les XIXe et XXe si&egrave;cles ont vu dispara&icirc;tre l&rsquo;homme coquet. Habill&eacute; trop richement, on risquait sa t&ecirc;te. &quot;Cette &eacute;poque marque aussi les premiers drames dans l&rsquo;industrie du textile : &agrave; Bruxelles, les dentelli&egrave;res se sont retrouv&eacute;es sans ouvrage. La suppression du faste de la cour a mis les artisans de luxe au ch&ocirc;mage.&quot;&nbsp;On songe au parall&egrave;le avec toute une fili&egrave;re qui ne travaille presque plus depuis le confinement. Avec Napol&eacute;on, l&rsquo;artisanat haut de gamme a &eacute;t&eacute; remis au go&ucirc;t du jour. L&rsquo;empire du luxe attend d&eacute;sormais sa Restauration&hellip;

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Les trompe-l&rsquo;&oelig;il pour faire mentir le commun

Une silhouette de Jean-Paul Gaultier, avec &agrave; l&rsquo;arri&egrave;re un effet peau nue tatou&eacute;e, et &agrave; l&rsquo;avant un uniforme de matelot d&eacute;voy&eacute;. Pour C&eacute;dric Charlier, &quot;c&rsquo;est tout le g&eacute;nie de Jean-Paul Gaultier, qui a d&eacute;cloisonn&eacute; la mode Homme. Il a aussi tent&eacute; d&rsquo;imposer la jupe, il a d&eacute;mocratis&eacute; le vestiaire du marin. On a toujours beaucoup cach&eacute; la peau de l&rsquo;homme, Gaultier l&rsquo;a r&eacute;v&eacute;l&eacute;e. Il a &eacute;t&eacute; le premier &agrave; utiliser la technique du tulle chair imprim&eacute;, gr&acirc;ce &agrave; laquelle il a r&eacute;ussi &agrave; obtenir un succ&egrave;s historique avec un v&ecirc;tement qui donne l&rsquo;illusion de ne pas en &ecirc;tre un.&quot;

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Jupes et transversalit&eacute;s

&quot;La jupe et le kilt ont fait quelques incursions dans la mode masculine, mais dans nos cultures, le passage du catwalk &agrave; la rue se fait encore difficilement. Pourtant, la jupe a &eacute;t&eacute; pr&eacute;sente tout au long de l&rsquo;histoire. Et c&rsquo;est compr&eacute;hensible, c&rsquo;est tellement pratique. On l&rsquo;accepte en Occident quand elle est tr&egrave;s codifi&eacute;e, lors d&rsquo;&eacute;v&eacute;nements sportifs ou folkloriques.&quot;&nbsp;Dans cette veine ambig&uuml;e, on trouve aussi les d&eacute;riv&eacute;s du costume sous forme de v&ecirc;tement d&rsquo;int&eacute;rieur, &agrave; l&rsquo;instar du peignoir du dandy. Pour C&eacute;dric Charlier, &quot;on ne devient pas dandy, on l&rsquo;est intrins&egrave;quement. C&rsquo;est une exception intime. Les dandys naissent et vivent dans leur costume. C&rsquo;est une aisance, une d&eacute;contraction paradoxalement hyper-contr&ocirc;l&eacute;e.&quot;

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Smoking no smoking

&quot;Les queues-de-pie ont raccourci gr&acirc;ce &agrave; l&rsquo;anglomanie, vers la deuxi&egrave;me moiti&eacute; du XIXe si&egrave;cle. L&rsquo;Angleterre a toujours &eacute;t&eacute; tr&egrave;s influente en mati&egrave;re de mode Homme. Le smoking a b&eacute;n&eacute;fici&eacute; de l&rsquo;influence d&rsquo;&Eacute;douard VII, qui a d&eacute;cid&eacute; de porter ses vestes courtes habituellement r&eacute;serv&eacute;es aux fumoirs pour les occasions mondaines. Cette pi&egrave;ce v&eacute;hicule toujours actuellement la notion de maintien, de posture. La veste n&rsquo;a cess&eacute; d&rsquo;&eacute;voluer, s&rsquo;est all&eacute;g&eacute;e, mais la rigueur du smoking, son allure, a perdur&eacute;. C&rsquo;est un peu le corset de l&rsquo;homme. On se sent mis en valeur.&quot;&nbsp;&Eacute;videmment, il est impossible d&rsquo;&eacute;voquer la transversalit&eacute; du smoking sans penser &agrave; Saint-Laurent. &quot;Pour ma premi&egrave;re collection, j&rsquo;avais &eacute;t&eacute; inspir&eacute; par l&rsquo;image forte d&rsquo;une photo d&rsquo;Helmut Newton, une gar&ccedil;onne fumant dans la rue. Le succ&egrave;s du smoking Saint-Laurent pour femme s&rsquo;explique sans doute par le contraste total de la f&eacute;minit&eacute; servie par un attribut masculin. On voit appara&icirc;tre de nouveaux codes, &agrave; partir du moment o&ugrave; le cr&eacute;ateur comprend un contraste. C&rsquo;est le c&oelig;ur de ma r&eacute;flexion.&quot;

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Le costume du pouvoir

&quot;Le costume gris mat&eacute;rialise la r&eacute;ussite au travail. Quand on voit la pr&eacute;-collection de cet hiver par Prada, cr&eacute;&eacute;e en plein confinement et dans un contexte de quasi-psychose, on ressent le point de vue de la cr&eacute;atrice, influenc&eacute; par l&rsquo;incertitude du moment. Elle a pr&eacute;sent&eacute; une collection de costumes noirs et gris, dans laquelle on sent d&eacute;j&agrave; l&rsquo;influence de Raf Simons (qui l&rsquo;a rejointe cette ann&eacute;e &agrave; la codirection artistique de la marque, ndlr), et l&rsquo;&eacute;pure qu&rsquo;il va apporter. Le monde entier ressent le besoin de protection&nbsp;? Prada pr&eacute;sente des costumes. Quelles sont aujourd&rsquo;hui la valeur et l&rsquo;importance de ce costume ? Symbolise-t-il toujours la m&ecirc;me chose ? Doit-on encore porter des cravates ? Notre &eacute;poque s&rsquo;interroge. Mais une ligne enti&egrave;re de costumes, &agrave; une p&eacute;riode qui ne pense qu&rsquo;&agrave; cocooner, c&rsquo;est un signal fort.&quot;

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Les accessoires : un bastion en perdition

D&eacute;j&agrave; qu&rsquo;ils en avaient moins que les femmes &agrave; leur disposition, les hommes les abandonnent progressivement pour privil&eacute;gier le confort et le c&ocirc;t&eacute; pratique. On ne cherche pas o&ugrave; poser son chapeau quand on n&rsquo;en porte pas. Au sujet de la cravate, C&eacute;dric Charlier nous r&eacute;v&egrave;le que &quot;d&rsquo;homme &agrave; homme, on est capable d&rsquo;interpr&eacute;ter des signes &eacute;loquents. Le choix de l&rsquo;imprim&eacute;, la mati&egrave;re, la taille du n&oelig;ud (il existe des dizaines de mani&egrave;res de nouer sa cravate). Ce n&rsquo;est pas anodin, cette pi&egrave;ce qui traverse tout le buste et pointe vers le bas.&quot;

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La couleur des sentiments de mode

&quot;La couleur a beaucoup d&rsquo;importance dans mon travail. Mais entre ce que notre d&eacute;sir de consommateur nous dicte et les couleurs qui nous vont au teint, il faut r&eacute;fl&eacute;chir en termes de contraste. La couleur doit servir la personne qui la porte, et non l&rsquo;inverse. Walter Van Beirendonck a ouvert tout un univers aux hommes. Sa fa&ccedil;on d&rsquo;inscrire la couleur au c&oelig;ur d&rsquo;une p&eacute;riode de mode tout au noir est absolument g&eacute;niale. Il a acidul&eacute; l&rsquo;image de la virilit&eacute;. Je reste marqu&eacute; par sa collection o&ugrave; tous les mannequins &eacute;taient recouverts de latex et de plumes d&rsquo;autruche. Cette dichotomie entre les codes f&eacute;tichistes, d&eacute;tourn&eacute;s dans des couleurs arc-en-ciel, avec la frivolit&eacute; des plumes, reste une image majeure.&quot;

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Le v&ecirc;tement comme libert&eacute; d&rsquo;expression de l&rsquo;homme ?

&quot;Je pense qu&rsquo;on est &agrave; une p&eacute;riode o&ugrave; l&rsquo;on se d&eacute;barrasse de certains clich&eacute;s, m&ecirc;me si d&rsquo;autres &eacute;mergent. Il y a de nouveaux st&eacute;r&eacute;otypes, mais plus rien n&rsquo;est r&eacute;ellement impos&eacute; &agrave; titre de carcan vestimentaire. Pour l&rsquo;homme, contrairement &agrave; la femme, se lib&eacute;rer de ses codes reviendrait &agrave; abandonner une forme de privil&egrave;ge. Les femmes se sont lib&eacute;r&eacute;es plus vite de leurs diktats, mais vu les contraintes qui leur &eacute;taient impos&eacute;es, elles ne pouvaient que s&rsquo;&eacute;lever.&quot;&nbsp;&Agrave; l&rsquo;homme nouveau, d&eacute;sormais, de trouver sa seconde peau.

<a href="https://fashionandlacemuseum.brussels" target="_blank">Masculinities au Musée Mode &amp; Dentelle</a>, jusqu&#39;au 13 juin 2021, Rue de la Violette 12, 1000 Bruxelles.

Masculinities : l'exposition bruxelloise contée par le créateur Cédric Charlier

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