Dandy crooner &agrave; la m&egrave;che rebelle, punk solitaire en costume de nuit, jeune homme moderne qui m&eacute;lange les styles pour mieux brouiller les pistes (de danse), Edouard van Praet n&rsquo;est pas du genre &agrave; se laisser enfermer dans des cases. Rock, indie, &eacute;lectro, chanson : son premier album, "Mascarades", r&eacute;v&egrave;le un artiste qui jongle avec les faux-semblants et se moque des contradictions. Un vrai joueur, fin pr&ecirc;t &agrave; vous surprendre.&nbsp;

"En fait, dans mes chansons, je peux mettre en sc&egrave;ne autant mon ombre, mon c&ocirc;t&eacute; obscur, que son contraire&hellip; Et mon album est une exploration de &ccedil;a : tu peux y trouver une partie de moi qui est de l&rsquo;ordre du cach&eacute; et une autre qui est de l&rsquo;ordre du montr&eacute;&hellip; D&rsquo;une certaine mani&egrave;re, j&rsquo;y parle autant de choses et de situations que je redoute que de choses que je d&eacute;sire : je me bats avec le vrai et le faux, d&rsquo;o&ugrave; le titre de l&rsquo;album." D&eacute;m&ecirc;ler tout &ccedil;a en musique ou laisser l&rsquo;auditeur r&eacute;pondre lui-m&ecirc;me aux questions qu&rsquo;il se pose : Edouard van Praet, comme tout bon artiste se pr&ecirc;tant au jeu de l&rsquo;interview promo, pr&eacute;f&egrave;re &eacute;videmment laisser planer le doute. "&Agrave; chacun son interpr&eacute;tation" : on conna&icirc;t la chanson&hellip; Et qui dit masque dit projection, mise en sc&egrave;ne, camouflage, protection : et qu&rsquo;il tombe ou pas, finalement peu importe, tant qu&rsquo;on prend du plaisir. Parce que la musique, et &ccedil;a notre jeune Bruxellois l&rsquo;a bien compris, doit d&rsquo;abord rester un terrain de jeu (et de je) : "S&rsquo;amuser, triper, faire des erreurs, dire des conneries, c&rsquo;est &ccedil;a la r&eacute;alit&eacute;." Et la sienne ainsi mise en sc&egrave;ne, &ccedil;a donne sur disque et sur sc&egrave;ne quelque chose de bluffant, un truc en plus bien versatile et bigarr&eacute; : compl&egrave;tement allum&eacute;.&nbsp;

<h3>Comme une playlist moderne&nbsp;</h3>
En douze morceaux comme autant de masques &agrave; enfiler, d&rsquo;amours &agrave; concilier, Edouard van Praet nous fait voyager &agrave; travers le glam et le rock seventies, la techno gabber et le punk funk, Niagara et Tom Waits, "Marcia Ba&iuml;la" jou&eacute; par Ariel Pink, Julien Dor&eacute; chez les Bad Seeds&hellip; On pourrait s&rsquo;amuser tr&egrave;s longtemps &agrave; lui coller plein d&rsquo;&eacute;tiquettes, mais Edouard, &agrave; ce petit jeu des sept familles, r&eacute;sume tout &ccedil;a mieux que nous : "J&rsquo;aime bien quand &ccedil;a part dans tous les sens, quand un groupe ou un artiste te fait voir et entendre des choses tr&egrave;s contrast&eacute;es, quand il t&rsquo;emm&egrave;ne dans un lieu puis dans un autre &ndash; cette esp&egrave;ce de polymorphisme&hellip; J&rsquo;ai toujours aim&eacute; les groupes de rock qui se mettent &agrave; l&rsquo;&eacute;lectro comme Primal Scream ou Underworld, les artistes qui n&rsquo;h&eacute;sitent pas &agrave; changer de style(s) comme David Bowie&hellip; Et j&rsquo;ai con&ccedil;u mon album comme ces playlists o&ugrave; tu passes du folk au m&eacute;tal puis au rap, o&ugrave; on se dit : 'Putain, je m&rsquo;attendais pas &agrave; &ccedil;a !' En fait, c&rsquo;est comme dans la vie: on passe tr&egrave;s vite d&rsquo;une humeur &agrave; une autre en une seule journ&eacute;e." &Agrave; l&rsquo;image du morceau d&rsquo;ouverture ("Do You Ever Walk Alone ?") dans lequel Edouard se la joue crooner de comptoir, avant la d&eacute;flagration post-punk-wave d&rsquo;"Echoes" qui sonne comme du Suicide remix&eacute; par The Rapture. Fort.&nbsp;

<h3>Une chambre, la nuit</h3>
Si Edouard van Praet est un gar&ccedil;on de son temps (il est n&eacute; en 1996), il a connu le parcours assez typique de l&rsquo;ado qui tripote des logiciels de compos dans sa chambre. "J&rsquo;ai suivi des cours de piano mais j&rsquo;&eacute;tais pas tr&egrave;s assidu et puis j&rsquo;ai commenc&eacute; &agrave; faire de la musique tout seul mais sans jamais aller plus loin, je criais juste tr&egrave;s fort dans ma chambre !"&nbsp;Le jeune Edouard d&eacute;couvre Nirvana comme tout le monde, puis c&rsquo;est le rap sur Soundcloud et le metal(core) pour s&rsquo;&eacute;pancher en pleine pubert&eacute;, avant le classico : fonder un groupe de rock avec son meilleur poto pour esp&eacute;rer devenir le prochain Pete Doherty. "On &eacute;tait fans des Strokes, des Libertines, de tout ce rock des ann&eacute;es 2000 qui donnait l&rsquo;impression qu&rsquo;il ne fallait pas grand-chose pour &eacute;crire une chanson! Et c&rsquo;est ce qu&rsquo;on a fait, m&ecirc;me s&rsquo;il n&rsquo;y a jamais rien qui est sorti&hellip;"&nbsp;Mais la machine est lanc&eacute;e et, &agrave; partir de l&agrave;, Edouard n&rsquo;arr&ecirc;tera "plus jamais la musique une seule seconde" : &agrave; force de beaucoup de "remises en question, de concerts, de soir&eacute;es &agrave; &eacute;couter de la musique et de marches solitaires"&nbsp;&agrave; esp&eacute;rer que l&rsquo;inspiration tombe du ciel comme la foudre ou un ange, Edouard trouve&nbsp; son style et finit par sortir un premier 5 titres en 2021 ("Doors"), puis un deuxi&egrave;me l&rsquo;ann&eacute;e suivante ("Cycles"), &eacute;crits et enregistr&eacute;s "tout seul dans une cave sombre". Il rigole mais n&rsquo;emp&ecirc;che, c&rsquo;est surtout en pleine nuit qu&rsquo;il trouve mati&egrave;re &agrave; chansons, parce que &agrave; 3 h du mat&rsquo; "on peut projeter plus de choses dans le noir et le calme de l&rsquo;existence". Comme il l&rsquo;implore dans "Echoes" : la nuit tu vis "plus vite" ("faster") et plus "sauvagement" ("wilder"), d&rsquo;o&ugrave; cette sensation d&rsquo;urgence qui exsude de son disque, entre berceuses "trance pop" et quintes punk histrioniques, murder ballades et comptines lynchiennes.&nbsp;

<h3>R&eacute;sonance et individuation&nbsp;</h3>
En cherchant &agrave; "bercer ses nerfs" ("Faux Myst&egrave;re") par l&rsquo;&eacute;criture, le cri et la mise en sc&egrave;ne de soi dans ses clips et en live, Edouard van Praet, en tout cas, ne manque pas d&rsquo;intriguer&hellip; Et ceux qui l&rsquo;ont d&eacute;j&agrave; vu sur sc&egrave;ne savent que c&rsquo;est une tornade, mix improbable d&rsquo;arlequin rock&rsquo;n&rsquo;roll et d&rsquo;adonis d&eacute;moniaque. "Apr&egrave;s les concerts, on me demande souvent si je fais du th&eacute;&acirc;tre et, m&ecirc;me si c&rsquo;est vrai qu&rsquo;il y a une part de mise en sc&egrave;ne et de mascarade, je n&rsquo;ai jamais l&rsquo;impression de mentir&hellip; En fait c&rsquo;est quelque chose de tr&egrave;s intuitif, de l&rsquo;ordre de la transe." Et le voil&agrave; qu&rsquo;il nous parle de psychanalyse, du "corps hyst&eacute;rique qui r&eacute;v&egrave;le ce qui n&rsquo;ose pas &ecirc;tre dit", du concept de "r&eacute;sonance" si cher au sociologue et philosophe allemand Hartmut Rosa, de la "psychologie du destin" de L&eacute;opold Szondi, et puis de tous ces masques qu&rsquo;on est parfois oblig&eacute; de porter en soci&eacute;t&eacute; ou ailleurs, du costume que les autres nous taillent et du fait qu&rsquo;on a tendance, trop souvent, &agrave; "devenir les censeurs impitoyables de nous-m&ecirc;mes."&nbsp;(Alain Badiou, paraphras&eacute; par John Maus, un musicien art/synth/punk qu&rsquo;adore Edouard)&hellip; "En fait, sur sc&egrave;ne, il y a quelque chose de l&rsquo;ordre de la c&eacute;r&eacute;monie: j&rsquo;y vais vraiment &agrave; fond, pour atteindre un autre &eacute;tat" : des &eacute;tats pas possibles (sauter, tomber, se rouler par terre&hellip;) qui font les meilleurs concerts&hellip; En tout cas, ceux dont on se souvient. "Et puis j&rsquo;aime bien mixer le sale et le propre, mettre un costume et crier jusqu&rsquo;&agrave; me briser les cordes vocales! J&rsquo;aime bien jouer avec les contrastes, explorer des sensations un peu trash." Un peu comme son mod&egrave;le, Leonard Cohen, qui n&rsquo;h&eacute;sitait pas &agrave; "m&eacute;langer la crasse et le spirituel", chanter des trucs dark (et darker) en costard Armani&hellip; D&rsquo;ailleurs, Edouard est tellement fan qu&rsquo;il a m&ecirc;me &eacute;crit un m&eacute;moire d&rsquo;unif sur son idole, lors de son master en psycho &agrave; l&rsquo;UCL : Le processus d&rsquo;individuation mis &agrave; l&rsquo;&oelig;uvre chez Leonard Cohen&hellip; "Je cite m&ecirc;me un passage de Beautiful Losers (l&rsquo;un des deux romans beat de Cohen, NDLR) dans Echoes! Son personnage m&rsquo;a beaucoup marqu&eacute;."&nbsp;Pour Jung, le processus d&rsquo;individuation, c&rsquo;est la "relation excentrique entre le c&ocirc;t&eacute; conscient et le c&ocirc;t&eacute; inconscient de la psych&eacute; humaine" : pas la peine d&rsquo;avoir fait un doctorat pour comprendre qu&rsquo;il y a de &ccedil;a dans "Mascarades" et encore moins pour appr&eacute;cier l&rsquo;"anti-rock" de ce jeune homme "on a wire"&hellip; La classe, en somme. Avec grande distinction.&nbsp;

Photoshoot r&eacute;alis&eacute; dans les locaux de MAD Brussels. Stylisme : Dorian Cleves

Edouard van Praet : funambule des mascarades

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