D’entrée de jeu, il prévient : "Les interviews, c’est compliqué pour moi. Je suis – très souvent – en désaccord avec ce que j’ai dit quelques jours plus tôt (rires)." Prodige de l’image, Pierre Debusschere est un artiste, photographe et cinéaste aussi talentueux qu’inclassable. Rencontre. 

Sa signature ? Des corps en mouvement travaill&eacute;s comme des sculptures, des visages (souvent) masqu&eacute;s, des tissus qui dissimulent, un traitement plastique de l&rsquo;image, l&rsquo;ajout de peinture, de superpositions, de jeux de lumi&egrave;re et de filtres color&eacute;s... &quot;J&rsquo;aime de moins en moins travailler avec des mannequins. Je photographie plus souvent des &eacute;tudiants en art. Je ne retouche pratiquement pas les photos. Ou alors si je le fais, c&rsquo;est &agrave; fond et c&rsquo;est un parti pris esth&eacute;tique&hellip;&nbsp;Retoucher pour montrer un corps parfait, &ccedil;a ne m&rsquo;int&eacute;resse pas.&quot;&nbsp;Son talent pour la photo est d&rsquo;abord rep&eacute;r&eacute; par <a href="https://www.lofficiel.be/mode/raf-simons-une-carriere-longue-et-reussie" target="_blank">Raf Simons</a> pour qui il r&eacute;alise la direction artistique des campagnes pendant plusieurs ann&eacute;es. &quot;C&rsquo;est gr&acirc;ce &agrave; Raf que j&rsquo;ai aim&eacute; la mode. C&rsquo;est une chance de travailler avec quelqu&rsquo;un dont la d&eacute;marche est sinc&egrave;re et artistique.&quot;&nbsp;Mais si Pierre Debusschere a construit sa notori&eacute;t&eacute; gr&acirc;ce &agrave; la photographie de mode, il n&rsquo;a eu de cesse de vouloir s&rsquo;affranchir de ce domaine &quot;un peu trop superficiel et codifi&eacute;&quot;&nbsp;&agrave; son go&ucirc;t. Transversal, son travail explore aussi la musique, la peinture et la vid&eacute;o, et il a &eacute;t&eacute; jusqu&#39;&agrave; r&eacute;aliser des clips pour <a href="https://www.lofficiel.be/mode/black-is-king-les-meilleures-looks-de-beyonce-decryptes" target="_blank">Beyonc&eacute;</a> ou encore Alicia Keys.

Mode, Musique, Mouvement

&quot;Je puise mon inspiration dans la musique. La plupart du temps, j&rsquo;essaie de retranscrire &agrave; l&rsquo;image le ressenti transmis par le son&quot;, explique celui qui trouve ses concepts au volant de sa voiture... &quot;Quand je cherche une id&eacute;e, je prends ma caisse, j&rsquo;&eacute;coute un disque et les images d&eacute;filent toutes seules dans ma t&ecirc;te.&quot;&nbsp;Boulevers&eacute; par un concert de Nine Inch Nails quand il avait 15 ans, cet ex grand timide voit dans l&rsquo;exp&eacute;rience du DJing et de la f&ecirc;te l&rsquo;opportunit&eacute; d&rsquo;une lib&eacute;ration multisensorielle qu&#39;il manifeste dans sa prise de vue, jusqu&#39;&agrave; inciter ses mod&egrave;les &agrave; laisser le son guider leurs mouvements&nbsp;: &quot;Sur chaque shooting, je passe une playlist que j&rsquo;ai cr&eacute;&eacute;e sp&eacute;cialement pour l&rsquo;occasion. C&rsquo;est la musique qui dirige les postures sur mes sets. Je ne force rien.&nbsp;Il y a quelque chose de spontan&eacute; et c&rsquo;est &ccedil;a qui est beau.&quot;

©️254Forest 2020 Pierre Debusschere Alphonse Eklou Edouard de Weinssenbruch .jpg

Queen B

Un jour de 2011, l&#39;artiste est contact&eacute; par l&rsquo;&eacute;quipe de Beyonc&eacute;, alors en pleine pr&eacute;paration de son premier album visuel. Dans ce projet baptis&eacute; &quot;Beyonc&eacute;&quot;, le Belge encore au d&eacute;but de sa carri&egrave;re signe deux des dix-sept vid&eacute;os produites pour l&rsquo;occasion, &quot;Mine&quot;&nbsp;(en featuring avec Drake) et &quot;Ghost&quot;. &quot;J&rsquo;ai eu deux semaines pour finaliser les concepts puis je suis parti en Australie pour tout shooter.&quot;&nbsp;Tant&ocirc;t incarn&eacute;e en madone, tant&ocirc;t en figure presque fantomatique, Beyonc&eacute; s&rsquo;y montre plus &eacute;nigmatique et sensuelle que jamais, amor&ccedil;ant &agrave; cette occasion un tournant majeur dans la direction artistique de sa carri&egrave;re. &quot;Elle dit souvent que Mine est son clip pr&eacute;f&eacute;r&eacute;. Elle m&rsquo;a aussi confi&eacute; qu&rsquo;elle aimait travailler avec moi pour ma lumi&egrave;re et ma recherche du mouvement. J&rsquo;arrive &agrave; la rendre belle. Ce sont ses mots pas les miens ! (rires)&quot;&nbsp;L&rsquo;ann&eacute;e derni&egrave;re, la chanteuse am&eacute;ricaine fait &agrave; nouveau appel &agrave; l&rsquo;artiste pour r&eacute;aliser certaines parties du film <a href="https://www.lofficiel.be/mode/black-is-king-les-meilleures-looks-de-beyonce-decryptes" target="_blank">&quot;Black is King&quot;</a>, son projet visuel pens&eacute; comme une c&eacute;l&eacute;bration des cultures noires. &quot;C&rsquo;est tr&egrave;s intense de travailler avec elle mais c&rsquo;est incroyable ! Pour ce projet, on a tourn&eacute; &agrave; L.A., chez elle dans les Hamptons, &agrave; New York&hellip; On faisait des journ&eacute;es de 23 heures sans s&rsquo;arr&ecirc;ter. C&rsquo;&eacute;tait surr&eacute;aliste. On a commenc&eacute; dans son jardin avec Jay-Z qui nous servait du th&eacute; et on a fini le tournage en Belgique en faisant croire que Lommel &eacute;tait l&rsquo;Afrique. On a m&ecirc;me des images de Jessie Reyez&nbsp;dans le Sahara de Lommel (rires). On tournait de nuit, c&rsquo;&eacute;tait le 2 d&eacute;cembre, il faisait un froid glacial mais le rendu est super !&nbsp;Du d&eacute;but &agrave; la fin de chaque projet, Beyonc&eacute; est pr&eacute;sente. Elle g&egrave;re tout, du business &agrave; la direction artistique. Elle t&rsquo;appelle pour te faire un feed-back. Les notes, c&rsquo;est elle qui les &eacute;crit. Quand elle arrive sur le set, tout doit &ecirc;tre pr&ecirc;t. Le mat&eacute;riel, la lumi&egrave;re, les danseurs&hellip; Souvent, elle ne connait pas la chor&eacute;graphie avant le tournage mais il suffit de la lui montrer une fois pour qu&rsquo;elle la refasse &agrave; l&rsquo;identique. C&rsquo;est une workaholic et une grande professionnelle.&quot;&nbsp;Low profile, Pierre Debusschere travaille pourtant r&eacute;guli&egrave;rement avec les plus grands, les plus cools, les plus fous&hellip; Comme Kanye West qui pose sa voix dans son film &quot;I know simply that the sky will last longer than I&quot;&nbsp;ou &quot;I KSTTSWLLT I&quot;.&quot;Ce sont des gens avec qui je travaille mais le vrai moi est ici, avec mes proches &agrave; Saint-Gilles.&quot;

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254 Forest

C&rsquo;est au num&eacute;ro 254 de la Chauss&eacute;e de Forest &agrave; Saint-Gilles que Pierre Debusschere a mat&eacute;rialis&eacute; son d&eacute;sir d&rsquo;&eacute;change artistique et de d&eacute;cloisonnement : &quot;Pour un ancien timide maladif comme moi, c&rsquo;est un peu surprenant comme projet mais cet endroit m&rsquo;a v&eacute;ritablement ouvert, lib&eacute;r&eacute; m&ecirc;me. Maintenant, rencontrer des gens, je trouve &ccedil;a super !&nbsp;(rires)&quot;&nbsp;Lieu de vie, ce &quot;coworking&quot;&nbsp;singulier r&eacute;serv&eacute; aux cr&eacute;atifs de tous bords est un environnement unique &agrave; Bruxelles dans lequel les gens peuvent bosser, &eacute;changer mais aussi s&rsquo;amuser. &quot;C&rsquo;est comme une grande famille&quot;, ajoute celui qui vit et travaille ici entour&eacute; de ses amis. Plut&ocirc;t tourn&eacute; vers la peinture lors de l&#39;ouverture, le lieu s&#39;est enrichi depuis d&#39;un studio de photographie, d&#39;un studio de musique et m&ecirc;me d&#39;une galerie de 80 m2 baptis&eacute;e The Room. C&rsquo;est justement au sein de cet espace que Pierre Debusschere pr&eacute;sente sa derni&egrave;re expo personnelle, apr&egrave;s celle pr&eacute;sent&eacute;e au MAD il y a deux ans. Baptis&eacute;e &quot;Spectrum&quot;, cette s&eacute;rie de photographies in&eacute;dites d&eacute;voile des corps dissimul&eacute;s sous des tissus de couleurs vives. Une provocation envers la censure qui r&eacute;git actuellement les r&eacute;seaux sociaux : &quot;La censure sur les r&eacute;seaux sociaux me met mal &agrave; l&rsquo;aise. L&rsquo;Origine du monde de Gustave Courbet, peint en 1866, est censur&eacute; sur Instagram... On a l&rsquo;impression de faire un bond en arri&egrave;re !&quot;&nbsp;Ainsi d&eacute;nu&eacute;es d&rsquo;identit&eacute;, ces silhouettes deviennent les supports d&rsquo;une interpr&eacute;tation ouverte, &agrave; la port&eacute;e d&eacute;lib&eacute;r&eacute;ment universelle. &quot;Je travaille le corps comme de la sculpture. Dans cette derni&egrave;re expo, m&ecirc;me s&rsquo;ils sont dissimul&eacute;s, les corps apparaissent tels qu&rsquo;ils sont dans la r&eacute;alit&eacute;. On les devine. C&rsquo;est une mani&egrave;re d&eacute;tourn&eacute;e de les lib&eacute;rer. Les codes couleurs sont inspir&eacute;s des fonds bleus et verts du cin&eacute;ma et des ann&eacute;es 80. Une p&eacute;riode o&ugrave; les endroits fr&eacute;quent&eacute;s par la communaut&eacute; gay (&agrave; New York notamment) &eacute;taient encore prohib&eacute;s. Les gens communiquaient alors avec des bandanas de couleurs pour indiquer leurs pr&eacute;f&eacute;rences sexuelles.&nbsp;C&rsquo;est donc un peu de tout &ccedil;a mais aussi et surtout ce que chacun veut y voir.&quot;

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Corona et confinement

&quot;La p&eacute;riode est compliqu&eacute;e pour les artistes. Du coup, on se bouge et on trouve des solutions alternatives. On travaille &agrave; distance ou on se d&eacute;brouille pour organiser les shootings en Belgique. Je fais des tournages via Zoom. Diriger des mannequins &agrave; distance, ce n&rsquo;est pas si mal. Je peux vraiment me concentrer sur l&rsquo;essentiel sans &ecirc;tre parasit&eacute; par d&rsquo;autres choses sur le plateau.&quot;&nbsp;Pour pallier le manque de culture en cette p&eacute;riode de crise sanitaire et de semi-confinement, il organise aussi des sets de musique et des performances live &agrave; regarder en streaming via le site <a href="http://www.254forest.be" target="_blank">www.254forest.be</a>. &quot;Je n&rsquo;ai jamais &eacute;t&eacute; quelqu&rsquo;un de militant qui revendique des choses mais j&rsquo;ai l&rsquo;impression qu&rsquo;aujourd&rsquo;hui on doit agir individuellement, chacun via son langage. Le mien, c&rsquo;est l&rsquo;image et le son.&quot;&nbsp;Une douce r&eacute;bellion avec en point de mire : la libert&eacute;.

Rencontre avec Pierre Debusschere, prodige belge de l'image

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