Un des plus grands boxeurs de l’histoire méritait bien un documentaire exceptionnel. Grâce à Ken Burns, le génie du genre, c’est fait.

Habitu&eacute; aux documentaires XXL, avec plus de mille minutes consacr&eacute;es &agrave; l&rsquo;histoire du jazz (pas son meilleur, assez d&eacute;daigneux envers son versant moderne), 270 pour celle de la musique country, 1 035 pour la Guerre du Vietnam, et 690 pour La Guerre de S&eacute;cession, Ken Burns aime prendre son temps, explorer son sujet jusqu&rsquo;&agrave; son &eacute;puisement total.&nbsp;Avec 480 minutes, sa derni&egrave;re &oelig;uvre s&rsquo;int&eacute;ressant &agrave; la vie de Mohamed Ali fait presque figure de ha&iuml;ku.

Boxeur mythique, g&eacute;nie encore m&egrave;tre-&eacute;talon de la&nbsp;cat&eacute;gorie reine des poids lourds,&nbsp;h&eacute;ros am&eacute;ricain, parfois m&ecirc;me anti-h&eacute;ros, adul&eacute; ou d&eacute;test&eacute;, &agrave; la personnalit&eacute; pas moins complexe que celle de n&rsquo;importe qui, &agrave; la trajectoire inou&iuml;e, Mohamed Ali, n&eacute; Cassius Clay, a travers&eacute; l&rsquo;histoire de son pays avec une &eacute;nergie rageuse, port&eacute; par son talent insens&eacute; et la conviction in&eacute;branlable qu&rsquo;il &eacute;tait le meilleur (<a href="https://www.youtube.com/watch?v=0KtrQ5nWl7w" rel="noopener" target="_blank">The Greatest</a>, pour reprendre le titre de la sublime chanson de Cat Power, qui l&rsquo;&eacute;voque allusivement). 
S&rsquo;il n&rsquo;avait &eacute;t&eacute; qu&rsquo;un exceptionnel athl&egrave;te, &agrave; la gr&acirc;ce folle, &agrave; l&rsquo;audace sid&eacute;rante, au punch fracassant et au palmar&egrave;s impressionnant, Ali aurait d&eacute;j&agrave; m&eacute;rit&eacute; un film. Mais cela n&rsquo;aurait pas fait de lui un personnage romanesque.&nbsp;De ses d&eacute;buts jusqu&rsquo;&agrave; sa fin d&eacute;chirante, quand la maladie de Parkinson le d&eacute;truisait &agrave; petit feu, en passant par son refus de combattre au Vietnam, quitte &agrave; perdre non seulement tous ses titres mais &eacute;galement la possiblit&eacute; l&eacute;gale de les d&eacute;fendre et &agrave; risquer la prison, en passant par sa conversion &agrave; l&rsquo;Islam, changeant son patronyme, d&eacute;montrant par l&rsquo;exemple son droit incontestable au libre-arbitre, en plein mouvement des droits civils, ses combats sur des terres o&ugrave;, euph&eacute;misme, la d&eacute;mocratie ne r&eacute;gnait pas (le Za&iuml;re de Mobutu, les Philippines de Marcos), comment il a tourn&eacute; le dos &agrave; Malcolm X, le documentaire ne laisse rien dans l&rsquo;ombre. Il peint moins une hagiographie qu&#39;une fresque romanesque en clair-obscur. On regrettera cependant qu&rsquo;aucun boxeur contemporain, tels&nbsp;Anthony Joshua, Tyron Fury ou Oleksandr Usyk, ne soit interrog&eacute;, au profit de regards plus conventionnellement universitaires, disons.

ARTE / © Len Trievnor/Hulton Archive via Getty Images

ARTE / © Monte Fresco/Mirropix via Getty Images

ARTE / © Marty Lederhandler/AP Images

ARTE / © Michael Gaffney

Les fans de ce sport seront enchant&eacute;-e-s de la p&eacute;dagogie avec laquelle le film d&eacute;crypte les innovations techniques et tactiques qui font d&#39;Ali un champion hors normes, et les n&eacute;ophytes y trouveront de quoi les intringuer assez pour le d&eacute;couvrir.&nbsp;Ses contradictions - une foi solide mais une libido en roue libre, peu soucieuse de monogamie -; son innocence bafou&eacute;e - une int&eacute;grit&eacute; &agrave; toute &eacute;preuve exploit&eacute;e par un entourage cupide - ; ses failles aussi - une certaine cruaut&eacute; quand il s&rsquo;agissait d&rsquo;humilier ses adversaires verbalement (son sens du trash talking n&rsquo;a rien &agrave; envier aux meilleures punchlines des rappeurs, tant son sens de la m&eacute;lodie des mots et de leur puissance expressive laisse b&eacute;at) ou physiquement (son plaisir &agrave; ne jamais les achever, mais au contraire &agrave; les cogner encore et encore, tout en diff&eacute;rant le ko), sont saisies avec d&eacute;licatesse.&nbsp;Mohamed Ali &eacute;tait d&rsquo;un autre acier que ses homologues, habit&eacute; par la spiritualit&eacute; et tout entier d&eacute;di&eacute; &agrave; son art, embrassant sa violence intrins&egrave;que. Fanfaron mais g&eacute;n&eacute;reux, narcissique mais ouvert aux autres, inventeur de nouvelles formes stylistiques, donnant &agrave; la boxe une profondeur quasi-mystique.&nbsp;Dans l&rsquo;interview donn&eacute;e &agrave; l&rsquo;&eacute;crivain Norman Mailer, en octobre 1974, &agrave; la veille de son combat &agrave; Kinshasa contre George Foreman, Ali ne le disait pas autrement :&nbsp; &quot;En Am&eacute;rique, [&hellip;] ils ne voient pas que je me sers de la boxe pour surmonter des obstacles qu&rsquo;on ne peut pas d&eacute;passer autrement. [&hellip;] Je ne fais pas tout &ccedil;a pour la beaut&eacute; du sport mais pour changer un tas, un tas de choses.&quot; Il en va ainsi de tous les artistes : leurs r&eacute;alisations, fleuves en furie, d&eacute;bordent toujours de leur cadre, pour aspirer &agrave; quelque chose de plus grand qu&#39;elles.&nbsp;

&nbsp;

Un documentaire en quatre &eacute;pisodes de Ken Burns, Sarah Burns et David McMahon. Disponible sur <a href="https://www.arte.tv/fr/" target="_blank">Arte.tv</a> du 20 d&eacute;cembre au 11 mars 202. Diffusion sur Arte les 10 et 11 janvier &agrave; 20h50.&nbsp;&nbsp;En coffret dvd le 1er f&eacute;vrier (Arte Editions).

Pourquoi il faut absolument voir ce documentaire sur Mohamed Ali

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